août
2009
L'informatique, ou l'art de l'opération au couteau à beurre
Vous êtes à l'hôpital, et vous êtes sur le point de vous faire opérer. Une infirmière a roulé votre lit depuis votre chambre jusqu'à la salle d'opération, traversant un labyrinthe de coulours froids aux murs décrépits dans un grincement de roues lancinant. Puis elle s'est retirée, vous laissant seul.
On vous a informé que l'opération était potentiellement risquée, mais vous avez opté pour le forfait économique car votre budget est serré cette année. Dans cet hôpital anonyme, comme il en existe tant, c'est donc un chirurgien débutant qui s'occupera de vous, éventuellement secondé d'un interne en formation. Son parcours est sans doute un peu atypique - il a fait des études de sociologie et non de médecine -, mais il présente bien et affirme avoir déjà participé à une opération mineure qui n'a pas eu trop d'effets secondaires. Il fera parfaitement l'affaire. Au pire, votre budget de l'année prochaine vous permettra d'acheter de quoi réparer les éventuelles séquelles.
Seul dans la pièce, vous observez autour de vous. La salle date un peu : il manque une ampoule au plafonnier articulé, de l'humidité suinte un peu aux coins du plafond, et vous apprécieriez quelques degrés supplémentaires. Cela ne vous rassure pas, mais il n'y a rien d'alarmant non plus. Vous essayez de ne plus y penser, en attendant le chirurgien.
Un bruit de porte battante : le voilà enfin.
Il fait un pas en direction du lavabo où trônent différents bactéricides, mais consulte l'imposante horloge murale et se ravise - pas le temps, son planning est trop serré. Après avoir jeté un oeil à votre fiche d'opération - il la découvre à l'instant, n'ayant pas été invité aux entretiens préparatoires -, il positionne le masque d'anesthésie sur votre visage et ouvre les valves de la bouteille de sevoflurane. Vos paupières semblent lourdes, vos pensées s'embrument, vous commencez à vous endormir...
Votre dernière vision est celle du chirurgien brandissant de manière incertaine au-dessus de votre abdomen... un couteau à beurre ébréché.
Toute ressemblance...
Commentaires
Tu as pris double dose de prodépresseur, ce matin, Olivier ? :-)
PS : Je vais jouer les chieurs, mais le nom exact de l'anesthésique est "sevoflurane", avec un 'v'. Même pour le côté rigolo, je préfère le nom d'une molécule plus ancienne, l'"enflurane", bien qu'elle ne soit plus utilisée depuis 20 ou 30 ans... ;-) A part ça, ton histoire m'a beaucoup plu.
PS 2: Je suggère une petite amélioration, à ajouter dans la 1ère moitié du 2nd paragraphe : "Pendant un temps, il a été question de vous envoyer dans un hôpital off-shore en Asie le temps de l'opération, pour des raisons de coût, mais finalement l'opération a lieu en France". Ca ajoute encore un peu plus de piquant, non ? :-)
Un peu "spécial" ce post Olivier !
Mais tu as raison, bon nombre d'entre nous ont déjà vu ou subi ce genre de situation.
Heureusement que dans notre profession, nous ne jouons pas avec la vie humaine...
Au fait, comment s'est passée l'opération ? Y aura-t-il une suite ?
HollyDays, merci pour la rectification sur le nom du produit. Quant à l'enflurane... ah, les aléas du nommage des associations chimiques :)
Je n'avais pas pensé à l'offshore, mais c'est vrai que cela rentre parfaitement dans le cadre de l'histoire, surtout que cette pratique existe effectivement en médecine aussi (séjours hôtel+dentiste au Maroc...). Cela fait froid dans le dos...
Enfin, comme dit François, on n'est pas responsables de vies humaines (du moins, pas directement). Mais l'informatique est aujourd'hui au coeur du business des grandes entreprises, ce qui est tout aussi dangereux.
On ne dirait pas la description d'une réalité mais la recension d'un cauchemar.
Juste un tout petit truc : on ne tue personne en informatique. Notre travail met rarement des vies physiquement en danger. En danger économique, oui, si un projet est râté, on peut imaginer que des gens vont en pâtir (quoique). Et si un projet est réussi, souvent, des gens en pâtissent aussi et sont mis dehors car improductifs.
Donc... Relis le philosophe Max Pécas : "on se calme et on boit frais à Saint-Tropez"
A++
En même temps, moi, ça me tente bien de passer une équivalence 'Chirurgien'... A qui puis-je m'adresser ? Puis-je demander une spécialisation 'fourchette à escargots' ?
Olivier, j'adore ce billet. Chapeau bas ! J'aurai aimé l'écrire !
A Gabriel
En informatique, c'est vrai, on ne tue pas des gens (sauf rares exceptions, du genre avionique, spatial, transports, ...). Ce n'est généralement que de l'argent que l'on fait perdre par de mauvais choix. Néanmoins, les arbitrages inconséquents que l'on rencontre dans la gestion de ses projets ne sont pas très différents de ceux que l'on retrouve dans d'autres domaines, qui, eux, mettent la vie de gens en danger.
Ainsi, par exemple, lors de la construction de l'hôpital Georges Pompidou, les canalisations d'eau menant aux chambres des patients ont été construites en acier galvanisé, contre l'avis répété et insistant des sociétés spécialisées (ce matériau étant sujet à la rouille lorsqu'il est mis en contact avec de l'eau chaude, ce qui peut contaminer cette eau). Résultat : 10 personnes sont tombées gravement malades (légionellose), et 5 en sont mortes (c'était il y a 9 ans, et l'AP-HP vient seulement d'être mise en examen en tant que personne morale).